Articles pour les curieux

Le Bouleau, sylviculture et perspectives : une place à prendre dans la forêt wallonne

23 juillet 2020

François Baar1, Nicolas Delhaye2, Héloïse Dubois3, José Layon4

1 Département de la Nature et des Forêts, Direction de Liège, Aménagiste francois.baar@spw.wallonie.be

2 Département de la Nature et des Forêts, Direction de Liège, Chef de cantonnement

nicolas.delhaye@spw.wallonie.be

3 Consultante, gestionnaire forestier et formatrice (Silva & Consult SNC)

heloise.dubois@alumni.uliege.be

4 Consultant, gestionnaire forestier et formateur (Silva & Consult SNC)

layonjose@hotmail.com

Introduction

La forêt wallonne souffre de divers maux qui hypothèquent son avenir. Le réchauffement climatique, la modification du régime des pluies, les parasites et les maladies… affaiblissent ou portent atteinte à la bonne santé de plusieurs essences et à leurs peuplements. Il est indispensable de rendre nos forêts plus résilientes et de les gérer durablement en leur conservant les fonctions écologiques, économiques et sociales. Cela passe par leur diversification et le choix d’essences et de pratiques sylvicoles adaptées.

Près de 80 % du volume forestier sur pied en Europe occidentale est réalisé par 5 essences commerciales. Il s’agit d’essences exotiques provenant d’Europe (pin, épicéa) ou de contrées beaucoup plus éloignées (Douglas), mais aussi du hêtre et du chêne que les forestiers ont de longue date favorisés dans les forêts. 

Au-delà de la crise des scolytes, l’avenir de l’épicéa ailleurs que sur les plateaux wallons de haute Ardenne est incertain. Le Douglas présente de plus en plus de problèmes sanitaires qui menacent sérieusement sa survie. Le hêtre souffre de la sécheresse et n’est de ce fait plus considéré comme une espèce d’avenir. Le chêne, principalement le sessile, reste une valeur sûre même si voici quelques années, certains peuplements ont dépéri. Le frêne est presque partout lourdement atteint par la chalarose. Quant au recourt à de nouvelles essences exotiques comme moyen de suppléer aux problèmes actuels de nos forêts, il faut être conscient que plusieurs pourraient se montrer invasives dans certaines circonstances comme par exemple le chêne rouge d’Amérique ou le tsuga, pouvant potentiellement menacer des espèces indigènes et des milieux naturels, et devenir incontrôlables. De plus, il y a des incertitudes quant à leur acclimatation à moyen terme (le Douglas est un exemple qui montre aujourd’hui ses limites). Il s’agit dès lors d’un pari dont on ne pourra juger de la réussite que dans plusieurs dizaines d’années. Dans le contexte actuel, le choix des essences à planter est difficile à poser tant les incertitudes sont nombreuses. Le fichier écologique des essences constitue une base solide pour accompagner ce choix mais il ne garantit pas son succès, car les besoins des essences et leur capacité d’adaptation tout comme l’ampleur des changements ne sont pas maitrisés.

Des arbres de provenances plus méridionales a priori mieux acclimatées au climat présent et à venir pourraient également être favorisés.

Certainement, la solution est multiple et inclura un panel d’orientations. Pour préparer la forêt wallonne de demain, deux phénomènes importants doivent être considérés. D’une part, la sous-valorisation d’essences de chez nous qui n’ont jusqu’à présent pas bénéficié de l’intérêt qu’elles méritent au regard de leur potentiel de production et des qualités techniques de leurs bois ; les bouleaux verruqueux et pubescents sont de celles-là, mais aussi les deux tilleuls à petites et grandes feuilles et le sorbier des oiseleurs. D’autres part, les professionnels de la forêt et du bois et les scientifiques pensent que les ressources en résineux vont fortement baisser en Europe d’ici quelques années notamment suite à la crise des scolytes et du Douglas mais aussi aux ventes massives qui ne manqueront pas d’être opérées dès que le marché se rétablira au niveau des prix, sans compensations suffisantes au niveau des plantations. Les industries du bois se sont pourtant principalement spécialisées dans la transformation des résineux. La forêt wallonne, et plus largement d’Europe occidentale, va donc obligatoirement évoluer dans les prochaines années et il importe de l’anticiper.

Le travail avec les essences implantées naturellement et spontanément (le semis naturel) est assurément l’une des orientations à suivre ; outre les aspects économiques, elles ajoutent une résistance aux peuplements (génétique élargie, stabilité et exploration des sols mieux adaptées que lors d’une plantation, meilleure résistance au gibier…).

Les fortes dépenses d’argent public liées aux crises comme celle des scolytes pour indemniser les opérateurs durement affectés doivent aussi servir à réorienter la gestion forestière vers une plus grande durabilité et un rôle véritablement plurifonctionnel de la forêt, sous peine de perpétuer un modèle de gestion brutalement confronté à ses limites.

Enfin, il faut rappeler qu’une grande part des feuillus de bois d’œuvre produits aujourd’hui en Wallonie part à la grande exportation, et avec elle la plus-value liée à la transformation. Cette économie mondiale du bois est en opposition totale avec les principes du développement durable que l’on accorde volontiers à la production forestière wallonne. Si la plus grande part de l’opinion publique est acquise aux principes d’une économie plus responsable, il apparait qu’une part croissante des consommateurs adapte ses comportements d’achat et privilégie les produits locaux ou d’origine locale bien au-delà des seules denrées alimentaires, poussant le marché à favoriser les ressources et les transformateurs locaux. Cette évolution ouvre certaines perspectives à la filière wallonne du bois et mériterait d’être encouragée par les pouvoirs publics. 

Le bouleau, une essence abondante, qui a fait ses preuves, mais méconnue chez nous

La sylviculture et la valorisation industrielle du bouleau sont pratiquées depuis près d’un siècle dans les pays finno-scandinaves et baltes. Cette sylviculture produit un bois de grande qualité qui peut servir de matière première abondante pour toute une industrie de production de charpente, parquet, meuble, panneau contreplaqué de qualité, pâtes à papier…

Les bouleaux verruqueux et pubescents sont très présents dans les forêts wallonnes (et en Belgique) et représentent la troisième essence feuillue en volumes de bois sur pied. Cette ressource qui apparait le plus souvent spontanément sur les friches et les parcelles forestières après leur coupe rase est par ailleurs en augmentation : 3,4 millions de m³ estimés en 2005, une nette augmentation enregistrée sur le dernier cycle de l’Inventaire Permanent des Ressources Forestières de Wallonie, et un contexte favorisant l’accélération de cette expansion. A cause de son historique de (non) gestion, cette ressource est pour sa plus grande part de mauvaise qualité et juste apte à fournir du bois de chauffage.

Pendant très longtemps, ces essences dites « secondaires » ont été combattues pour laisser la place aux essences « de production » le plus souvent plantées, feuillues ou résineuses. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les plus belles boulaies wallonnes sont présentes… dans les sites naturels où les habitats forestiers qu’elles forment sont reconnus pour leur grande valeur patrimoniale et écologique. Ces boulaies installées le plus souvent sur des sols (para) tourbeux n’ont bien entendu aucun intérêt économique.

Aujourd’hui, de plus en plus de propriétaires et de gestionnaires forestiers souhaitent développer des peuplements de bouleau ayant une vocation de production. Même si cela demeure encore marginal à l’échelle de la Wallonie, ces expérimentations sont concluantes lorsqu’elles sont bien menées et ouvrent la voie à des développements potentiellement beaucoup plus vastes et prometteurs. Quelques industries du bois se questionnent également par rapport à l’incorporation de cette essence en tant que bois d’œuvre. En effet, les caractéristiques du bouleau rendent possible son incorporation dans le contexte industriel wallon.

Les bouleaux verruqueux et pubescents sont similaires pour la plupart des critères biologiques, en termes de sylviculture et pour les propriétés de leur bois. C’est principalement leurs écogrammes qui les distinguent : tous deux vivent dans une large gamme de sols, faisant du genre celui possédant la niche écologique la plus étendue en Eurasie, mais le pubescent, qui tolère mieux les conditions très humides, ne supporte pas les sols secs. Vu le nombre de graines, produites dès les 5 premières années, et la large dispersion du pollen, la diversité génétique des bouleaux est très importante. Ces éléments font de lui une essence résiliente probablement bien adaptée et adaptable notamment au changement climatique. 

Le bois de bouleau possédant des qualités techniques comparables à celles du hêtre et meilleures que celles de l’épicéa, on perçoit facilement l’intérêt qu’il y aurait à conduire une sylviculture du bouleau en Wallonie dans l’optique de fournir à la filière forestière une ressource locale de qualité, en quantité et à moindre frais.

Le bouleau est une essence pionnière qui s’installe très rapidement sur les terrains défrichés et prépare l’installation d’autres essences qui apparaitront par la suite, vouées à le remplacer. Il restructure le sol, l’enrichit en éléments minéraux et recrée rapidement une ambiance forestière (hygrométrie, protection de l’insolation et du vent…). Il s’agit donc chez nous d’une essence de transition. La situation est différente dans le nord de l’Europe où le climat est plus rude, conduisant à des peuplements climaciques de bouleaux en mélange avec des résineux indigènes. En effet, peu d’autres feuillus peuvent s’y développer.

Le bouleau a cette autre caractéristique méconnue qu’il est une des essences qui résiste le mieux au gibier, de par sa régénération très dense et sa croissance rapide qui le place rapidement hors de danger. 

Enfin le bouleau, et cette qualité n’est pas des moindres dans le contexte actuel, forme des peuplements au potentiel écologique important et diversifié.

La sylviculture du bouleau

La sylviculture du bouleau est peu couteuse du fait notamment qu’elle ne nécessite pas de plantation ni de préparation spécifique du sol. Elle est simple à conduire mais sa mise en œuvre doit être précise au niveau des mesures de gestion et du moment des interventions, ce qui nécessite une bonne connaissance et donc une formation des acteurs de terrain. La mauvaise réputation du bouleau vient notamment de tous ces peuplements qui n’ont pas été gérés ou qui ont été mal conduits pour aboutir à la production de bois de mauvaise qualité (petites dimensions, mauvaise conformation, pourriture et coloration du bois). Une blessure, une mauvaise sélection des arbres d’avenir, un élagage ou un détourage trop tardifs sont irréversibles et portent atteinte à la production de bois d’œuvre. Tirer parti de l’implantation naturelle du bouleau sur de nombreuses stations, de ses potentialités de production et de sa capacité à coexister avec d’autres essences qui prendront le relai, permettra d’obtenir une production soutenue et diversifiée de bois de qualité tout en développant la biodiversité. La sylviculture du bouleau est optimale pour assurer une transition des peuplements de résineux monospécifiques dépérissants vers une forêt mélangée durable. En effet, elle ouvre la porte à de nombreux mélanges d’essences commerciales et à l’irrégularisation des peuplements. Le semis naturel de bouleau peut également être conduit dans un but de récolte intermédiaire de bois d’œuvre dans les espaces résiduels durant la production d’autres essences de production plus longévives.

La forêt productive de demain sera obligatoirement mélangée.

Le sylviculteur peut viser des grumes de 90 à 120 cm ou de 150 à 180 cm de circonférence, objectifs atteints respectivement en 30 à 40 et 40 à 60 ans. Ces différents objectifs de récolte peuvent être visés et la coupe décidée en fonction des besoins du propriétaire et des conditions du marché le ou les moments venus.

Espèce de transition, le bouleau laisse la place à une autre forêt après lui mais assure une production constante de matière première par sa présence permanente dans la dynamique spatiale, en offrant à l’écosystème les nombreux bénéfices des stades pionniers de régénération. 

La formation des forestiers à la sylviculture du bouleau

Le bouleau a une place à prendre dans les forêts wallonnes publiques et privées.

Depuis quelques années, des propriétaires publics et privés et des gestionnaires forestiers s’intéressent à la sylviculture du bouleau et demandent des formations.

Développer aujourd’hui la sylviculture du bouleau permettrait de fournir une ressource de qualité et ce déjà dans 30 ans et avec elle, une alternative partielle mais réelle aux essences qui seront en déclin d’ici quelques années (frêne, hêtre, épicéa). Pour la filière de la transformation, le bouleau fait partie des opportunités à promouvoir. Le moment est donc idéal pour réorienter la forêt wallonne et sa gestion. La crise des scolytes a et va encore engendrer de fortes dépenses d’argent public, occasion qui devrait être saisie pour mettre progressivement en place une forêt rencontrant pleinement ses fonctions écologiques, économiques et sociales.

Promouvoir la sylviculture du bouleau et lui réserver l’espace qu’elle mérite en Wallonie passent par l’information, la formation et l’incitation. Des formations et un encadrement technique rapproché sur le terrain sont indispensables pour faire du bouleau une essence de production des forêts wallonnes. *

Propositions

Cinq propositions prioritaires :

  • mettre en place des formations à la sylviculture du bouleau en Wallonie à destination des propriétaires et des gestionnaires mais aussi des exploitants forestiers (via le catalogue de formations de Forêt Wallonne). La demande est réelle et un cadre structuré formel est nécessaire pour que tous puissent en profiter (la formation des agents DNF passe principalement par Forêt Wallonne) ;
  • mettre en place un encadrement technique pour le développement de la ressource bouleau, indispensable pour alimenter la filière bois de manière continue en produit de qualité à l’échéance de 30 ans ;
  • motiver les propriétaires privés et publics par l’octroi d’une prime au maintien des semis de bouleau sur leur parcelle et à la formation à la sylviculture de celui-ci. Cette prime constituera un signal très fort et nécessitera peu de suivi et de contrôle sur le terrain ;
  • en forêt domaniale, privilégier le recours au semis naturel de bouleau si possible en mélange avec d’autres essences (en mélange avec des semis naturels ou plantation de feuillus et/ou avec des semis naturels de résineux selon les cas). En domaniale également, laisser en forêt les produits des premiers détourages feuillus en tant que bois mort et humus générateur ;
  • réimplanter le bouleau sur les vastes terrains non tourbeux envahis de molinie où la régénération naturelle est absente, devenus impropres à la sylviculture résineuse et qui ont en l’état perdu tout intérêt écologique.

* Héloïse Dubois finalise un Guide de sylviculture du bouleau adapté à la Région wallonne et plus largement à l’Europe occidentale, qui devrait sortir dans plusieurs mois. Ses résultats et analyses offrent une vision nouvelle de cette essence et de son utilisation.

Peuplement de bouleaux ayant bénéficié d’une gestion en sa faveur depuis 2006, sous l’impulsion de José Layon et de François Baar, à La Roche-en-Ardenne (photo de Hugues Claessens).

Sans gestion appropriée dès un âge précoce, les boulaies naturelles denses évoluent en peuplements de bois de qualité médiocre (photo de José Layon).

Lien vers quelques références :

https://orbi.uliege.be/browse?type=author&value=Dubois,%20H%C3%A9lo%C3%AFse%20p081303